Hier, matinée colloque. C'est rare que je me rende dans ce genre d'endroit mais là, le thème m'avait plu, l'affiche était alléchante et la distribution n'était pas mal. Toute la fine fleur de la sociologie française s'occupant de nutrition était présente. Et il est bon d'aller écouter ce que d'autres, qui regardent les choses avec un autre oeil, peuvent avoir à dire aussi. Humilité, humilité, c'est le maître mot de ce métier. Il y a toujours à apprendre, à remettre en cause les acquis, à confronter ses idées...
Bon, là, c'était la fondation Nestlé qui organisait ses 2èmes Assises (rien que ça) et la remise des Nids d'Or. Pour connaître le côté officiel de la chose, rentrez dans le "nid".
Qu'est-ce que de mon côté, j'y ai appris ?
- D'abord, que Eric Orsenna qui est le président de la cérémonie, est quelqu'un d'intelligent, de drôle et très à l'écoute. Eric Orsenna, one point.
- Que les français restent le peuple qui passe toujours le plus de temps à table. Juste derrière nous, les néo-zélandais. J'avais spontanément une vraie sympathie pour ces gens là, et bien je l'aie encore plus. Côté nutrition, ça rassure les chercheurs de savoir qu'on passe beaucoup de temps à table parce c'est le garant du socle de l'alimentation française : on mange pour se nourrir, oeuf corse, mais aussi pour partager, échanger, créer du lien, fêter des choses ensemble. Et ce "ensemble" nous assure de manger plus lentement qu'ailleurs, de prendre le temps de déguster, de nous faire plaisir. Et ça, c'est la seconde pièce maîtresse de l'édifice : se faire plaisir, donner du plaisir, prendre du plaisir, partager le plaisir... bref, se nourrir de plaisir. Temps passé à table, one point.
- Que les français, de génération en génération, dépensent de moins en moins d'argent pour manger. On est chacun né à une certaine époque et cette époque a vécu un changement dans l'environnement alimentaire. Par exemple, moi je suis de 68 et c'est la fin de la génération "low-cost". Beuah ! Dans ma génération, il semblerait donc qu'on achète à petit prix, qu'on aime les marques distributeurs...
Toi aussi, trouve ta génération. Si tu es né entre :
1917-1926 : époque Rationnement (se passe de commentaire)
1927-1936 : époque Réfrigérateur (eh oui... pas de frigo, pas de tupper, à l'époque, quel dommage - cf note précédente...)
1937-1946 : époque Robot (ménager, ben oui, quoi d'autre ?)
1947-1956 : époque Supermarché (trop bien, 200 000 produits tous plus tentants les uns que les autres et toute une génération qui passait ses samedis au Mammouth du coin, ne dites pas non, j'y étais. Je faisais à l'époque, en tant qu'étudiante, des démonstrations de produits formidables et notamment le Coca Light qui arrivait en France et que je faisais déguster ! Oui, moi ! Je ne savais pas ce que je faisais, j'invoque l'irresponsabilité de mes 18 ou 20 ans et la méconnaissance absolu de ce qu'étaient et seraient le light et l'aspartam. En tous cas, je voyais des familles entières qui passaient le vendredi soir, le samedi matin et encore le samedi après-midi. C'était bien, la galerie commerciale du Mammouth !)
1957-1966 : époque Aliments Services (je crois que ça veut dire commande, livraisons, etc mais je ne suis pas sûre parce qu'on n'a pas cru bon de nous l'expliquer et on ne pouvait pas poser de questions)
1967-1976 : époque Low Cost (la mienne, ouais, pas glorieux. Ca veut dire que nous, on dépense 10% de notre budget en alimentation quand la génération Rationnement en dépense 20%)
1977-1986 : époque Plateau Repas (télé. A ce propos, Eric Orsenna m'a bien fait rire en parlant des émissions de cuisine à la télé. Il a dit approximativement : "la télé a envahi notre table et bien maintenant, la table se venge en envahissant la télé". Bien vu Eric, re-one point)
1987-1996 : époque Nomades (on mange dehors, on transporte sa nourriture, on avale en marchant, en faisant autre chose. Pas bon, ça, pour la digestion...)
Et la grande question à 100 000 : que sera la génération 1997-2006 ???
- J'ai aussi appris grâce à Claude Fischler, sociologue de l'alimentation, que les plats préférés des français sont dans l'ordre : le magret de canard, les moules frites et le couscous. Monsieur Fischler avait l'air de déplorer que sa bonne blanquette soit descendue du podium... En même temps, les goûts évoluent, c'est normal et le couscous reste quand même un plat très complet et très intéressant nutritionnellement parlant. Et les moules frites comme le couscous sont aussi des plats qu'on partage.
Claude Fischler nous a rassuré sur le fait que les repas "à la française" gardaient leurs spécificités, lesquelles nous protégeaient d'ailleurs, en terme de santé : temps accordé au repas, variété des aliments, plaisir à manger, notamment des produits frais et méfiance vis-à-vis des supplémentations vitaminiques et des OGM.
- Et puis aussi, il y a eu Arnaud Basdevant qui, avec son air humble et sa vue basse, a assumé le rôle du "médecin de service" comme il se plait à le dire. Il nous en a d'ailleurs servi une bien bonne, lui qui est le patron du service Nutrition de la Pitié Salpêtrière mais aussi celui du Programme National Nutrition Santé (PNNS) dont la communication est notamment faite sous les pubs télé à base de "manger moins gras, moins salé, moins sucré", etc... A la question de l'animatrice qui voulait savoir si les interdits alimentaires religieux créaient des problèmes nutritionnels et de poids, il a répondu que les interdits tout courts en créaient et notamment chez les obèses (la population qu'il soigne). En effet, nous a-t-il expliqué, les obèses sont pleins de représentations négatives sur de nombreux aliments. Il a donc précisé que le premier travail à faire auprès de ses patients, consistait à lever ces interdits et à travailler sur les représentations qu'ils avaient des aliments.
Moi j'applaudis des deux mais. Mais je trouve que pour quelqu'un qui a validé les campagnes de comm du PNNS qui ne font que renforcer l'idée d'aliments néfastes pour la santé et d'autres bénéfiques, il ne manque pas d'air. C'est entre autres grâce à ces campagnes qu'on n'est pas prêt d'arriver au bout du système de représentations de l'alimentation chez les français... Merci le PNNS !